Dossier médical : Expérimentation DMP – les dessous du masquage (https://www.idee-s.info/67/dossier-medical-experimentation-dmp-les-dessous-du-masquage/)
« Il n’y a maintenant plus de doute : les patients pourront masquer leurs données, sans que ce masquage soit apparent et que le professionnel de santé puisse donc en avoir connaissance à priori. »
déclare l’association nationale des associations de Santé le 11 juillet 2006 à l’issue du séminaire annuel du comité d’orientation du GIP DMP. En pleine période d’expérimentation du dossier médical personnel, au délà des débats en cours, que révèle cette notion de « masquage » ?
« Masquage » – selon le TLFi – mot créé en 1945, qui est l’action, le fait de masquer, de dissimuler et parfois de déformer quelque chose.
De théâtre, de fer, de carnaval ou de beauté, le masque est d’usage courant pour afficher, cacher ou revitaliser… Quand il tombe, grande est parfois la surprise, la déception. A chaque Tour de France, on nous rappelle qu’il existe des produits de masquage qui rendent indétectables les dopants…
« Masquage » : Dans le dossier médical personnel (DMP) en cours d’expérimentation, de quoi s’agit-il ?
Le patient – à qui appartient, selon la loi, ce dossier électronique disponible de façon sécurisée via internet – aura la possibilité d’y mettre des pièces, des documents médicaux. Il pourra choisir que certains d’entr’eux soient masqués à l’examen par certains professionnels de santé.
Si ce masquage n’est pas masqué, alors, le professionnel de santé saura qu’il y a un élément dans le dossier MAIS qu’il ne peut pas le voir. En cas de masquage du masquage, le médecin ne verra rien. Ceci fait l’objet d’une controverse, via les sites internet, entre les médecins, leurs représentants syndicaux et les responsables du projet au GIP DMP. Le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) comme les associations de santé émettent leur avis via des communiqués de presse (1)
. Enfin, même des sondages sont lancés sur la question dans un journal professionnel (JIM)(2)
.
Dès maintenant, on pressent que si l’on en reste au débat sur le « masquage », un cercle vicieux médico-éthico-technique s’installe. Replacons-nous dans la situation courante :
De nos jours, quand un patient se confie à un professionnel de santé (PS) – médecin, infirmière, … – , si sa maladie le nécessite, il sait très vite que des relations et échanges vont se mettre en place avec d’autres PS et dans le cadre du secret professionnel. Dit et non-dit vont prendre sens en fonction des subtilités de la relation et in fine les conditions seront propices aux diagnostics, traitements et soins. Toutefois, depuis peu, notamment avant une intervention, alors que le patient peut être perturbé par l’enjeu de celle-ci, le trouble s’installe quand on lui demande au préalable de signer une série de documents et de décharges selon les nouveaux protocoles sur l’information du patient.
Comme on a commencé à le décrire dans la série « Dossier médical : dessous des cartes« , le dossier du patient prend toute sa valeur si les dossiers de travail des PS sont le reflet non seulement de leurs observations et tâches mais aussi de la qualité des échanges entre eux. Pour apporter une solution commune à la maladie de ce patient, il doit être fondé sur une vision et une architecture adéquate.
Que se passe-t-il dans le DMP ?
Cette question du masquage révèle que ce qui se passe entre le citoyen patient et les professionnels de santé sollicités lors d’un épisode de « mauvaise » santé, est modifié par l’introduction d’un tiers piloté par l’Etat via le GIP-DMP. La vision technologique vient troubler ce qui se construit patiemment (et en confiance) lors des relations tant en ville qu’au sein d’un établissement de santé. Ce tiers – géré par des « opérateurs » et des « hébergeurs » – crée et introduit des problèmes éthico-juridiques difficiles. N’y a-t-il pas risque de faire exploser les acquis sur le secret, le respect de la vie privée et les échanges inter-professionnels patiemment construits et actualisés depuis des siècles ?
On en vient à la question : Où sont les vrais masques ?
Cette question en induit d’autres :
– N’y a-t-il pas une grande confusion entre les dits et non-dits sur le véritable sens du DMP, projet mené à marche forcée avec une échéance fixée à 2007 ?
D’un côté, le projet : du dossier médical partagé, il a vite évolué vers le dossier médical personnel,
de l’autre, les aspirations des professionnels : Ces derniers souhaitent échanger, partager des données médicales entre « professionnels » comme en cancérologie – le dossier de cancérologie communicant (DCC) – ou au sein d’un établissement équipé d’un système d’information hospitalier (SIH) médicalisé.
– Le document électronique stocké et centralisé dans le DMP ne masque-t-il pas l’absence de moyens budgétaires susceptibles de favoriser les échanges entre les professionnels ?
Sur son ordinateur, à partir d’une photo, un artiste utilise un masque pour isoler, par exemple, un objet de la table sur laquelle il est posé. Ici ne voir que l’information (en fiche, en .doc, en pdf,…) hors du contexte et détaché de son auteur, de son destinataire ainsi que du dialogue peut induire des erreurs d’appréciation. Peut-on réduire la médecine à une somme d’informations si exhaustives soient-elles ? Ne pas resituer l’information en prenant compte des personnes et circonstances du jour, peut-il cacher des élements propices à un bon diagnostic ou un bon traitement ?
– Que devient la chaîne de confiance qui débute dès la première visite avec le médecin et va s’étendre, si cela est nécessaire, aux autres PS participant à l’ensemble des soins ? A la dimension quasi-locale du dossier, l’irruption du DMP et de son caractère national, n’ouvre-t-il pas de nouvelles vulnérabilités dans la liberté du patient-citoyen ? Qu’en est-il de la responsabilité de chacun des PS de cette chaine de confiance?
– Que masque le fait que ce soit le patient (*)
qui a le droit de rendre invisible un document dans le DMP via internet ? Doit-on s’en tenir à cet aspect de gestion du DMP ou doit-on plutôt s’attarder à identifier les autres masques et décors? N’interdisent-ils pas de voir l’essentiel de ce qu’on est en droit d’attendre d’un tel projet à l’échelle nationale ?
(*) à supposer qu'il en soit capable ! (Handicapés, Vieillards,...)
En guise d’épilogue…
Cette nuit, les images d’une légende ont défilé dans un songe : Je voyais une reine accompagnée de son premier ministre traverser un village avec de très jolies façades et une foule l’acclamant. Intrigé, en y regardant de plus près, je n’y voyais que des facades. Comme dans un décor de cinéma, ces facades masquaient les cabanes et masures et leurs habitants indigents… Sur les belles facades, scintillaient à chaque porte en lettres lumineuses DMP 1,2,… Sur le plus grand fronton une date le 26/10/06 ainsi qu’un nombre clignotaient (31783 dossiers). Mais, derrière sur les murs des cabanes, était écrit à la craie : SIH, DCC, Contrat de bon usage, T2A, RSS, déficit, trou…
Dès le matin, fort troublé, j’ai tenté de décrypter ce songe. Après recherche, j’ai pu retrouver qu’au XVIIIe siècle, un tel voyage se serait bien déroulé avec une reine dénommée Katherine… Je vais donc continuer les investigations et tenter de décrypter le rébus que constitue ce rêve… A bientôt !
Michel S. 1/11/2006
(1) CNOM: http://www.conseil-national.medecin.fr/ , LECISS: http://leciss.org/
(2) JIM: http://www.jim.fr/
Pour info :
Le « masquage du masquage » a fait l’objet d’une mission parlementaire dont le compte-rendu du député Pierre Louis Fagniez est publié en janvier. (voir aussi. )
Commentaire by idée-s — 21 février 2007 @ 14:45