Une brève histoire du dossier patient informatisé à la française (https://www.idee-s.info/30/dmp-breve-histoire-triste/)
L’histoire avait pourtant commencé dans un unanimisme sympathique : tous les acteurs du système de soins français s’accordaient sur l’intérêt d’un dossier médical informatisé. Il a donc été présenté par le ministre de la santé alors en place…
L’histoire avait pourtant commencé dans un unanimisme sympathique : tous les acteurs du système de soins français s’accordaient sur l’intérêt d’un dossier médical informatisé. Il a donc été présenté par le ministre de la santé alors en place, Philippe Douste-Blazy, comme la pierre angulaire de la réforme de l’assurance maladie voté en août 2004 (loi n°2004-810 du 13 août 2004). Il devait être la preuve et la garantie que la réforme était bien tournée vers la qualité des soins. Chaque Français devait en disposer obligatoirement dès 2007. Ce dossier médical personnel (DMP) devait à la fois aider à un meilleur suivi de chaque patient par les professionnels de santé, limiter les soins redondants, améliorer la qualité et la coordination des soins. Une sorte d’outil miracle qui devait, dès 2007, permettre à l’Assurance maladie d’économiser 3,5 milliards d’euros. Quelques ingénieurs en système d’information aigris, quelques économistes en mal de publicité se sont permis de ricaner et d’exprimer leur doute sur le programme annoncé : trois ans pour réaliser cette prouesse digne de l’épopée Concorde leur paraissaient retourner plus de la fanfaronnade que de la gestion de projet. D’autant que quelques bombes à retardement avaient été glissées dans la loi, les plus visibles étant l’absence de budget d’investissement et le choix technique, fait a priori, d’un hébergeur unique.
Mais le vrai drame s’est joué dans les premiers mois suivant l’accouchement de la loi. Deux fées jumelles et malfaisantes se sont penchées sur le berceau : l’une s’appelait politique, l’autre ambiguïté. La fée politique a voulu que les ministres se saisissent du petit DMP et brandissent comme un étendard le respect du calendrier. Messieurs les Cassandres, 2007 sera l’année de la généralisation du DMP à tous les Français, coûte que coûte. Même s’il faut pour cela le vider de tout contenu et de tout sens.
La fée-ambiguïté n’est pas resté les bras ballants. Elle a donné deux sens au P de DMP. Devant les professionnels, elle disait « Partagé ». En cela, le DMP était quasiment le prolongement de leur dossier métier et visait à simplifier leurs échanges et leur pratiques pour la prise en charge du patient. Mais devant les patients, elle optait pour « Personnel ». Et là, le dossier appartenait au seul patient qui en avait seul la clef d’accès. La fée-ambiguïté s’est fait un dernier plaisir : elle a maintenu un doute persistant sur l’utilisation du DMP comme outil de traçabilité des dépenses de santé du patient, provoquant la méfiance des professionnels comme des patients.
Le groupement d’intérêt public de préfiguration du dossier médical personnel (GIP-DMP) créé début 2005 pour conduire le développement du projet a donc pris en charge un nouveau-né déjà handicapé d’un lourd héritage. La suite des événements n’a alors qu’été une longue fuite en avant. Les retards et les inévitables difficultés conceptuelles et techniques n’ont pas réussi à faire varier le discours : tous les Français disposeront en 2007 de leur DMP. Et nous voilà en mai 2006, quasiment six mois avant le début de cette fameuse année 2007. Le troisième directeur (en 2 ans) du GIP-DMP vient de présenter un plan de sauvetage du DMP. Les derniers croyants ont renoncé à espérer un miracle. Mais la révolte qui a un moment tenté les représentants de patients semble faire place à de la résignation. Cette résignation consiste à continuer d’appeler DMP un « machin » qui ne ressemble déjà plus à grand-chose. Au passage, le DMP abandonne son caractère obligatoire et son utilisation ne conditionnera plus le niveau de remboursement des assurés.
Ces deux décisions permettent un dernier espoir : que cet erzat de DMP soit conçu comme le niveau 0 du chantier réel. Et qu’après avoir satisfait la « geste » politique, le dossier puisse enfin entamer sa vraie construction. Un peu de rêve…